Genre poubelle

poubelles-rue-emile-zola
Dépôt des poubelles rue Emile Zola – Photographie anonyme, Bibliothèque Nationale

Le 24 novembre 1883, après une épidémie de choléra, le préfet de Paris Eugène Poubelle prend un arrêté hygiéniste qui règlemente le dépôt des ordures sur la voie publique  et impose à chaque propriétaire de « mettre à disposition des locataires un ou plusieurs récipients communs pour recevoir les résidus de ménage ». Le 4 mars 1884, Poubelle modifie cet arrêté par un second texte, qui a pour titre « Enlèvement des ordures ménagères », qui norme les dimensions et le poids des « récipients métalliques à ordures » et qui rappelle qu’il est « interdit aux habitants de verser leurs résidus de ménage ailleurs que dans les récipients communs à l’immeuble ». Dans un économie alors totalement circulaire, le tri sélectif est prévu dès l’origine puisque les déchets doivent être répartis dans trois récipients spécifiques : l’un pour les matières putrescibles, l’autre pour les papiers et les chiffons et le troisième pour le verre, la faïence et les coquilles d’huîtres.

Le conseil municipal parisien s’insurge contre les arrêtés Poubelle et la presse conservatrice dénonce quotidiennement, pendant des mois, les conséquences désastreuses des récipients à ordures sur le chiffonnage qu’ils semblent condamner. L’expression « boîte Poubelle » apparaît dans un article satirique qui tourne l’objet en dérision, signé par Georges Grison dans le Figaro en janvier 1884. L’expression vengeresse « boîte poubelle » semble s’être répandue parmi les détracteurs du préfet et notamment les chiffonniers, tandis que « marmite » semble être le terme populaire pour qualifier ces récipients. Dans ce climat de contestation et de moquerie, l’ellipse du mot boîte semble s’être effectuée d’autant plus rapidement que la féminisation de son patronyme semblait avilissante et vexatoire pour le préfet. Toutefois, ce syntagme restait utilisé principalement dans les classes bourgeoises. Il semblerait que ce soit les disputes continuelles entre les concierges et les chiffonniers qui expliquent que ceux-ci en popularisé l’usage. En effet, les concierges devaient sortir les poubelles à la tombée de la nuit. Comme les chiffonniers tentaient d’entrer dans les maisons pour fouiller les poubelles avant leur dépôt sur la chaussée publique, les inspecteurs de la voirie menacèrent les concierges de procès-verbaux si les boîtes n’étaient pas déposées pleines. Ainsi, concierges, chiffonniers et domestiques, aux prises les uns avec les autres autour de ces boîtes à ordures, reprirent l’appellation méprisante de « poubelle » qui leur semblait insulter le préfet chaque fois qu’elle était proférée.

Au début du XXème siècle, le député-maire de Toulouse Albert Bedouce imposa aux riverains l’usage d’une ingénieuse poubelle dont le couvercle restait attaché au récipient. Egalement moquée et contestée, cette poubelle fut appelée la « bédoucette ». Vespasiennes, poubelles, bédoucettes : on repère une certaine régularité de la féminisation des patronymes masculins pour désigner ce qui touche au sale, à l’ordure, aux déchets.

Voir notamment l’ article « poubelle » du Centre National de ressources textuelles  ainsi que la notice poubelle sur la page des « mots fantômes » du site de l’analyse de traitement informatique de la langue française (CNRS, Université de Lorraine).

Caroline Ibos


Laisser un commentaire